Témoignage pour Juliette, victime d'un accident de la route
Témoignage à la mémoire de Juliette, victime de la route.
Juliette 20 ans, victime de la route
Juliette 20 ans. Le 16 septembre 2012. Trois jeunes gens et notre fille de 20 ans sont morts dans un accident. Ils revenaient d'une fête d'anniversaire près de fougère vers 9h du matin. Seul, le conducteur est vivant.
De la mort de notre fille encastrée dans un mur, je ne parlerai que peu : c'est un désespoir que l'on ne peut partager. Je n'aurais pas éprouvé le besoin de témoigner si après l'accident nous ne nous étions pas fracassé contre d'autres murs.
Avant le procès nous n'avions aucune rancœur contre le conducteur. Nous sommes allés voir les lieux de l'accident et avions constaté que la chicane d'entrée de ville n'était pas suffisamment annoncée comme un danger. Une maladresse, la perte de contrôle du véhicule, un simple accident donc. Nous n'avons pas porté plainte et avions même déclaré à la gendarmerie que nous nous portions partie civile pour venir en soutien du conducteur. Nous pensions que la mort de quatre personnes lui vaudrait la prison et que le sentiment de culpabilité était le pire qui puisse exister…
J'ai reçu ses parents un mois après l’accident. Nous avons eu une relation de confiance, partagions un malheur commun différemment. Ils m'ont confié que leur fils et Juliette s'étaient endormis dans la voiture en regardant un film, qu'il s'était éveillé et qu'il avait décidé de partir parce qu'il avait froid ; Nous avons conclu ensemble que Juliette continuait de dormir au moment du départ.
Quel est le message véhiculé ?
Vous êtes jeunes, vous conduisez : vous pouvez provoquer la mort de plusieurs personnes, même dans les circonstances les plus aggravantes, rien ou si peu ne changera dans votre vie et vous aurez de nouveau le droit de conduire dans trois ans ? De toute façon, vous ne serez qu'en partie responsable.
Si cette affaire semble classée pour tout le monde, elle ne l'est pas pour nous. Nous souhaitons témoigner de notre incompréhension face à ce mur. Ce mur, je sais que d'autres l'ont connu. Je souhaite les rencontrer dans l'intention de publier un livre à l'aide d'un journaliste qui rende compte de la place des victimes dans notre société et de la nécessité de la faire évoluer.
Nous n'avions pas eu le temps d'intégrer la mort de notre fille que nous apprenons le 15 février (6mois après l'accident) que le procès aura lieu le 7 mars. J'en informe l'avocat. Nous avons rendez-vous le 2 mars. Il nous apprend alors que les responsabilités sont accablantes : 1,33 d’alcoolémie, 120 km/h au lieu de 70km/h autorisés et qu'il ne se souvient de rien même pas des personnes se trouvant dans sa voiture. Nous lui rapportons les propos de ses parents et lui faisons part du caractère outrageant de ce mensonge pour se protéger : il note et nous informe qu'il se fera remplacer le jour du procès.
Le procès est vite expédié : c'est le procès des jeunes et de l'alcool et non celui du coupable qui ne dit rien. Mon avocat ne dit rien non plus : ne relève pas les erreurs dans la chronologie du départ, le fait que tous les passagers dormaient dans la voiture : aucune confrontation entre les propos des parents et sa prétendue amnésie. La procureur demande 1 an d'emprisonnement + 1 an de sursis + 5 ans de retrait de permis. Il est condamné à 18 mois de prison + 18 mois de sursis et 3 ans de retrait de permis mais il ressort libre. Plus tard, nous recevrons les conclusions du jugement suivantes : « Pour fixer la peine, le Tribunal retiendra les délits commis, leurs conséquences mais également le fait que toutes les victimes qui avaient elles aussi abusés d'alcool n'ignoraient pas, lorsqu'elles ont décidé de monter dans la voiture de R.François, que celui-ci avait comme elles, abusé d'alcool et ne s'était pas reposé ».
Nous avons envoyé un courrier aux magistrats co-signé des familles des victimes pour protester contre cette conclusion : que veut dire « abuser » d'alcool pour les passagers (D'autant que notre fille n'avait que 0,60g et lui 1,33). Que sait-on de ce que savaient les passagers de son état ? Il n'y a plus de témoin et en plus le conducteur avait dormi dans sa voiture (c'est dans sa déclaration). C'est lui tout seul qui a décidé de rouler à 120km /h et c'est cela qui a tué tous les passagers endormis.
Aucune réponse de la justice !
Le conducteur :
Nous apprenons par les amis de notre fille que le conducteur fait la fête régulièrement, qu'il est parti à Venise avec sa petite amie (nous avons enregistré ces photos affichées publiquement sur son Face book). Je demande à la gendarmerie d'organiser une confrontation pour établir la vérité et pour que cesse ce comportement indécent. Les parents refusent « catégoriquement ».
L'immunité des gens de droit. Nous finissons par être reçus par la juge des victimes à laquelle je m'étais adressée. Elle se trouve être aussi la juge de ce procès. Elle reconnaît que le procès a été trop vite, que les éléments que nous lui rapportons sont d'importance mais qu'elle n'en a pas eu connaissance. Elle nous dit que l'avocat aurait pu demander un report du procès pour instruire le dossier et mieux nous préparer. Mais aussi que « la justice ne revient jamais sur ses erreurs et quantité de jugements restent avec plein d'erreurs ». Je m'adresse au barreau en relatant tous les faits avec preuves à l'appui. Celui- ci me répond sans reprendre aucun des points professionnels évoqués : « Il faut donc comprendre et ceci sans aucune manière en cherchant à amoindrir la peine qui est la vôtre, qu'il s'agit bien d'un avocat désigné par votre assureur. L'avocat est donc, dans un dossier de cette nature, celui d'une compagnie d’assurance. Il s'agit donc de comprendre que l'avocat agissait essentiellement pour son mandataire, la compagnie d'assurance. Il a donc de ce point de vue accompli son travail pour son mandataire ». Je demande de nouveau une réponse aux différents points déontologiques. « Au regard des éléments relatés, j'interroge Maître B. et ne manquerai pas revenir vers vous » (25/09/2013). Pas de réponse. Je récidive et demande à être entendue face à l'avocat.
« Je vous confirme avoir adressé à Maître B. les termes de votre correspondance recommandée en date du 19/09/2013. J'interroge de nouveau Maître B. à raison de votre courrier que vous m'adressez aujourd'hui ». Pas de réponse. Répondre de son travail est-il facultatif pour les défenseurs des droits ? Je m'adresse à l'assurance. « L'assureur militant » me répond « Il m'a été permis de constater que le prévenu s'était vu infligé une peine allant au-delà des réquisitions du ministère Public. Ce constat ne me permet pas d'établir une défaillance quelconque de votre avocat ».
L'avocat n'était pour rien dans ce jugement puisqu'il n'a rien dit. Par ailleurs la peine n'a aucune importance puisqu'elle n'est pas appliquée. Après une année de totale liberté, celui qui était condamné à 18 mois de prison poursuit ses études, a trouvé un petit job et vit chez lui avec un bracelet électronique. Il est condamné à ne pas partir en vacances et avoir la vie que se choisissent les étudiants sérieux comme ma fille qui ne sortait que très peu pendant ses 2 premières années de droit. Quelle durée ? Nous ne le saurons pas : les victimes n'ont pas à être informées de l'application de la peine. La seule peine réellement appliquée est l'interdiction de conduire et elle est passée de 5 à 3 ans. Il est plus grave de tricher au bac : 5 ans sans pouvoir passer aucun examen même le permis de conduire.
ASSOCIATION TONYMAN LA ROUTE TUE
Association de victimes de la route